Dites nous en un peu plus sur vous !

En 1994, alors que j’étais kinésithérapeute libéral, un de mes confrères s’était inscrit pour un cursus d’ostéopathie à Marseille, au COP. Je l’ai accompagné à une présentation de l’ostéopathie par Michel Coquillat, alors directeur de l’école de Marseille. J’étais très sceptique au départ car j’avais été formé dans le giron médical mais immédiatement j’ai été totalement séduit, et je me suis également inscrit. 

En kinésithérapie, j’avais la désagréable impression d’appliquer des recettes. Quelques rares fois cela fonctionnait et la plupart du temps cela compensait à grand peine le problème pour un court laps de temps, et surtout, je ne savais pas pourquoi. Il me manquait le principal : l’origine des désordres. 

Or, comment soigner une personne si on ne connaît pas le fondement de sa lésion ? (C’est ce questionnement qui m’a guidé et me guide toujours dans ma pratique) 

J’entrevoyais enfin des réponses au travers de l’ostéopathie mais au fur et à mesure de mon avancée dans le cursus, les mêmes interrogations revenaient! Aucun professeur ne m’a apporté de réponse convaincante sur la nature de la lésion, son origine ou ses caractéristiques jusqu’à Pierre Tricot.

Aujourd’hui, pour moi, le mouvement est ce qui caractérise la vie, donc, agir sur les restrictions de mouvement me semble une voie plus que judicieuse. Mais cela ne répond pas à la question de l’origine de la lésion ou de la pathologie.

Qu’est-ce qui entrave le mouvement, et par la même, qu’est-ce que le mouvement et à quoi répond-il ? La globalité, on nous en parle en permanence, c’est l’orgueil de toutes les professions dites alternatives, mais de quelle globalité s’agit-il? De la globalité mécanique du corps à la globalité spirituelle liée à l’univers, il existe tout un panel de conceptions qui ne font qu’ajouter du désordre à une difficile compréhension! Qui dit globalité dit caractéristiques communes. D’où l’idée de  remonter aux sources de la vie, de la matière, de la conscience, là où les phénomènes sont plus simples.

Le corps est l’outil du mental : c’est ce qui me vient aussi de l’enseignement de Pierre Tricot et me guide en permanence lors de mes recherches; C’est pour moi d’une importance capitale. L’être humain utilise son corps suivant l’idée qu’il s’en fait, suivant l’idée qu’il se fait de son rôle et de sa place dans le monde. Il est essentiel d’intégrer cette notion: c’est comme ça que je conçois la globalité mais en contrepartie nous entrons dans l’hyper complexité.

Alors, comment naviguer facilement dans cette complexité sans se perdre ? Mes recherches m’ont poussé à m’intéresser à la thermodynamique au travers de nombreux écrits et conférences données par un astrophysicien extraordinaire: François Roddier. Un des principes de la thermodynamique est que quelque soit l’échelle à laquelle on observe une structure traversée d’énergie, elle conserve les mêmes caractéristiques. François Roddier l’a démontré au travers de ses observations sur des systèmes d’organisation complexes comme les sociétés humaines, économiques ou d’entreprise par exemple. Cela m’a semblé un fil d’Ariane pertinent dans mon approche ostéopathique.

Lorsque nous nous sommes rencontrés, j’ai partagé avec lui le résultat de mes recherches et il nous est apparu évident que les principes fondamentaux de cette science pouvaient s’appliquer à l’ostéopathie. C’est pour moi ce qui a validé le fait que nous pouvions simplifier dans le complexe et que pour cela il suffisait juste de changer de paradigme. 

Quel regard portez vous sur l’ostéopathie aujourd’hui ?

 « à trop vouloir voler près de la médecine, on se médicalise les ailes! »

Il n’y a pas si longtemps l’ostéopathie à été encore considérée comme un exercice illégal de la médecine. Les jeunes ostéopathes n’ont pas connu cette tranche de l’histoire. Pendant mes études, de 1994 à 2000, la profession ne rêvait que d’une chose, une reconnaissance, devenir une profession de santé, le pendant de la médecine. Caché au milieu d’un projet de loi sur la liberté du patient quant au choix de sa thérapie présenté par Bernard Kouchner, un peu par hasard, l’ostéopathie et la chiropraxie sont devenues des professions légales avec droit de consultation en première intention ! Et depuis, les autorités de médecine n’ont de cesse de limiter le domaine d’action de l’ostéopathie, et l’ostéopathie n’a de cesse de prouver son sérieux et son efficacité … à la médecine.

C’est peut être la raison de la dérive que je vois venir au sein des études d’ostéopathie. Trop de médecine, trop de diagnostics médicaux, trop de randomisation, trop de symptomatologie… à trop vouloir voler près de la médecine, on se médicalise les ailes! Cela dénote pour moi un manque de confiance des ostéopathes envers eux même et envers leur profession. Je vois poindre de plus en plus de doutes vis-à-vis du mouvement respiratoire primaire que j’appelle cellulaire, de plus en plus de doute sur la pratique crânienne, comme si les ostéopathes n’avaient plus confiance en leur ressenti. Alors que l’ostéopathie est une voie formidable lorsqu’on travaille les conditions de la perception, la liberté de ressentir, lorsqu’on approfondit les origines de la vie et ses caractéristiques. On obtient des résultats tellement extraordinaires lorsqu’on est en  accord avec le vivant. Les indications de l’ostéopathie sont bien différentes de celles de la médecine mais si l’on appréhende le “soin” dans sa globalité, on peut considérer que  la médecine, l’ostéopathie et bien d’autres thérapies ont en commun un seul but : apporter du soin au patient.

Alors pourquoi l’ostéopathie demanderait elle d’être jugée par la médecine et pourquoi la médecine se permettrait elle de juger l’ostéopathie? Est-ce qu’un ostéopathe juge un médecin? Ce n’est pas le même métier! Le charcutier ne juge pas le boulanger ou inversement et pourtant tous les deux sont des artisans des métiers de bouche. 

Finalement, le seul juge qui m’importe, c’est le patient

Quels sont les ostéopathes ou autres personnages qui vous ont inspirés tout au long de votre carrière ? 

La liste est longue et elle commence bien avant l’ostéopathie ! Adolescent, j’ai lu Albert Ducrocq, « le roman des hommes » chez Julliard, 1973. C’est peut être le livre qui m’a plongé dans la quête passionnante de nos origines. Il y a aussi l’expérience de Miller qui voit apparaître les briques du vivant, les acides aminés, dans son éprouvette à partir d’éléments simples mis dans des conditions supposées des débuts de la Terre, le tout bombardé d’étincelles simulant les éclairs. Puis des ouvrages de vulgarisation de physique et d’astrophysique, ma deuxième passion et notamment celle d’un auteur légèrement connu : Albert Einstein, Etienne Klein et tant d’autres ! Tous ces auteurs ont nourri ma curiosité, m’ont apporté une certaine rigueur de raisonnement et une liberté de pensée. 

Pour ce qui concerne l’ostéopathie, je citerai Michel Coquillat, alors directeur du COP Marseille, qui avec sa verve m’a fait basculer dans ce monde lors d’une présentation du métier d’ostéopathe. Bien sûr Pierre Tricot, qui a su nourrir mon désir de compréhension de la vie. Je dis souvent qu’il m’a expliqué l’inexplicable ! Et Claudine Marque, ostéopathe, qui en quatrième année d’étude, a mis ses mains sur les miennes, le tout sur un occiput. Avant je ne sentais que très sporadiquement quelque chose, après je sentais à chaque fois cette étrange mobilité crânienne, pas du tout selon les critères académiques mais avec une formidable confiance! Je les remercie vraiment pour les flashs que cela a déclenchés en moi ! Puis il y eu ma rencontre avec François Roddier*, astrophysicien à la retraite qui s’est passionné pour la biologie, la vie et …l’économie. Une rencontre qui est venue boucler la boucle de façon inattendue grâce à la thermodynamique.

À quel moment avez-vous ressenti le besoin de transmettre ? Y a-t-il eu un élément déclencheur ? 

« Chacun vit dans son monde, et dans chacun de ces mondes, la limite entre le possible et l’impossible est très variable. »

Je n’ai jamais pratiqué l’ostéopathie comme on me l’a enseigné. J’ai toujours cherché à remonter à la source de la lésion, dans l’origine des mécanismes et des fonctions qui font de nous des êtres vivants. J’ai très rapidement eu conscience que notre structure corporelle était l’outil de notre mental. Le mental utilise son corps suivant la représentation qu’il s’en fait, donc ce qui est primaire c’est justement cette représentation, ce mental. De ceux qui se pensent invulnérables à ceux qui se préservent en permanence, l’utilisation de l’outil corps sera totalement différente. Il en va de même pour les limites. Chacun vit dans son monde, et dans chacun de ces mondes la limite entre le possible et l’impossible est très variable.

Lorsque l’on bute sur une limite, la seule solution pour la franchir et pour relancer les cycles de vie, consiste à accepter cette limite, autrement dit à la reconnaître. C’est un des nombreux paradoxes apparents de la vie. Nos patients sont alors des personnes qui refusent leurs limites et qui tentent de passer en force depuis très longtemps. Cela fait appréhender notre approche de la santé d’une façon très différente, cela ne modifie que peu notre pratique dans ces gestes, mais complètement dans sa logique, dans son approche. Peu de gestes et peu d’énergie suffisent à déclencher de grandes choses.

Quand les résultats sont là, quand la pratique s’en trouve simplifiée, quand cela permet une communication profonde avec nos patients, comment ne pas avoir l’envie de partager, de transmettre ? Cela devient un tel plaisir qu’il faudrait être fou pour s’en priver ! 

Quelle(s) formation(s) animez vous  ?

J’anime au sein de l’organisme « FORMATION OTC », des formations qui s’articulent en deux niveaux. Un premier niveau « Synchronisation et communication » met en place les bases de la conception de ce qu’est un être vivant. C’est à partir des définitions de la vie, du vivant et de ses caractéristiques que tout naturellement se met en place une nouvelle approche de l’humain, une nouvelle conception de la communication et un nouvel angle pour aborder la lésion. Il en ressort évidemment une nouvelle façon de libérer le patient de sa lésion, de son refus, en accord avec sa vie, ses possibilités et ses limites. Nous travaillons la synchronisation physique entre le thérapeute et son patient. Ce niveau est suffisant pour être immédiatement appliqué en cabinet car il a pour objectif de maîtriser les bases et les outils de la communication tissulaire afin de les adapter très facilement à chaque pratique.

Un deuxième niveau viendra approfondir la communication : « Émergences émotionnelles et Libération ». Extrapolant la communication physique, nous arrivons tout naturellement à la communication émotionnelle. Nous arrivons à l’étage mental de notre être et par conséquent aux origines des dysfonctions. Que nous soyons en période de stress avec des répercussions à l’estomac ou que nous ayons reçu un pot de fleurs sur la tête, la gestion du trauma et de ses suites sera différente selon l’image que l’on s’en fait. Nous travaillons sur une autre approche de libération, en profondeur et dans le plus grand respect du patient, de son histoire et de sa vie. L’ostéopathie a ceci de formidable qu’elle peut facilement associer la synchronisation physique à la synchronisation mentale. Cela nous permet de faire rapidement le tri entre les dysfonctions secondaires et primaires, entre les refus mentaux réels et ceux exprimés. C’est un gain de temps énorme dans le traitement et une assurance d’obtenir des résultats plus durables.

L’objectif de ce niveau 2 est de remonter le lien du dysfonctionnement physique vers le schéma émotionnel associé pour un retour à l’équilibre du patient, ou plus précisément, pour un retour à l’équilibre optimum.

 Il m’a fallu quasiment 10 ans pour réunir les pièces qui me permettent d’avoir un système cohérent, scientifiquement solide. Ce système est exploitable par nous, ostéopathes, en ce sens qu’il en découle une approche simple, profonde, qui s’adapte à tout le monde en respectant parfaitement l’individualité de chacun. Les résultats sont indéniables. Transmettre, c’est le plaisir de se dire que ce que j’ai mis 10 ans et certainement beaucoup plus à construire, peut être transmis en deux sessions de trois jours ! Transmettre, c’est le plaisir de rencontrer et de débattre avec mes confrères. Des rencontres, des relations nouvelles, des échanges avec des personnes à l’écoute, encore une fois, il faudrait être complètement fou pour s’en priver ! Cela vaut bien toutes les tracasseries administratives d’une telle initiative ! 

Quels nouveaux outils vos futurs stagiaires auront en leur possession après avoir réalisé votre formation ?

« Nous suivons les tissus du patient, ce sont eux qui nous mènent vers la solution pour peu que l’on apprenne à les écouter. »

Ce sont moins des outils ou des recettes, qu’une vision véritablement globale de l’approche des difficultés que rencontrent nos patients que les stagiaires auront acquis à l’issue de cette formation. C’est avant tout une définition de la vie et du vivant préalable à tout travail. L’acquisition d’une confiance dans la palpation, dans l’établissement d’une communication tissulaire et émotionnelle et ce dans l’unique but de lever les refus générateurs de symptômes. C’est la possibilité de construire un traitement à chaque consultation qui «colle» parfaitement au patient. Nous suivons les tissus du patient, ce sont eux qui nous mènent vers la solution pour peu que l’on apprenne à les écouter. Cela pourrait être le préalable à toutes les autres formations spécifiques dont les apports deviendraient plus profonds et durables.

Le mot de la fin ?

« Keep it pure ». Les mots d’Andrew Taylor STILL n’ont jamais résonné aussi fort qu’aujourd’hui. Réapprenons la confiance en notre métier. Nos outils sont nos mains et aucun scanner, aucune IRM, aucune biologie ne pourra mettre en évidence l’origine des difficultés que nous amène nos patients. Aucune machine ne pourra se synchroniser aussi finement à un humain qu’un autre humain. Nous avons cette chance inouïe de proposer à nos patients un outil thérapeutique qui leur ressemble en tout point. Ne laissons pas passer l’opportunité que nous avons pour sortir nos patients de l’ornière de façon respectueuse, durable et profonde avec nos mains, notre approche et ce, en toute conscience. La médecine, formidable par ailleurs, a sa propre approche, ses outils et surtout ses indications. Nos indications sont toutes autres, notre abord est totalement différent. C’est ce que permet la richesse du monde dans lequel nous vivons.

Profitons en. Soyons ostéopathes! 

 *François Roddier. “Thermodynamique de l’évolution, chez Paroles éditions.