Chaque jour, en consultation, j’accueille des patients confrontés à des douleurs, des blocages, des ressentis qui signalent un trouble dans la bonne marche de la vie. Pour comprendre ces expressions du vivant, il me semble essentiel de revenir aux origines de la vie, à ce qui fonde sa dynamique. L’entropie, concept clé issu de la thermodynamique, propose un modèle simple et rigoureux pour penser la vie, sa complexification, et les troubles qui en émergent. Dans cet article, je développe une lecture de l’entropie comme moteur de l’évolution, de la conscience, du mouvement, et donc de l’ostéopathie.

L’univers comme système dissipatif : l’entropie à l’œuvre

L’univers évolue selon une tendance irréversible à transformer l’énergie en chaleur. Cette transformation s’appelle la dissipation et se mesure par l’entropie. Il ne s’agit pas d’un concept vague de désordre, mais d’une grandeur physique qui mesure la dégradation de l’énergie libre utilisable. Chaque structure traversée par un flux d’énergie devient une structure dissipative, c’est-à-dire qu’elle organise sa matière pour maximiser la dissipation énergétique. C’est une loi de l’univers, démontrée par Ilya Prigogine puis Roderick Dewar (loi MEP).

Dès les premières secondes après le Big Bang, cette dynamique a conduit à l’organisation spontanée de la matière en structures de plus en plus complexes : atomes, étoiles, planètes. Sur Terre, la vie poursuit cette logique.

La vie : une stratégie pour dissiper plus efficacement l’énergie

La vie est une réponse évolutive à la nécessité d’augmenter la production d’entropie. Elle émerge lorsque la matière, dans des conditions favorables, s’organise pour maximiser la transformation d’énergie en chaleur. Une cellule vivante, une plante, un être humain… sont des structures dissipatives particulièrement efficaces. À masse égale, un humain dissipe bien plus d’énergie que le soleil.

L’évolution biologique peut alors se lire comme une succession d’auto-organisations toujours plus performantes, chacune passant par des transitions de phase, comme le montre la théorie de la criticalité auto-organisée. Le mouvement, qu’il soit cellulaire, musculaire ou mental, est la manifestation tangible de cette dynamique.

Mouvement, chaleur, vie : un triptyque indissociable

Produire de l’entropie implique de transformer de l’énergie, et cela se fait par le mouvement. Le mouvement musculaire, le travail neuronal, les échanges cellulaires sont les moteurs de cette transformation. Si le mouvement est empêché, alors l’énergie ne peut plus être dissipée. Il ne peut y avoir d’accumulation, alors apparaissent déséquilibres et dysfonctions. C’est dans ce cadre que l’ostéopathie prend tout son sens : en restaurant les capacités de mouvement, elle permet au vivant de poursuivre sa dynamique entropique.

Un corps limité dans ses mouvements, c’est un corps qui ne peut plus dissiper. C’est donc un corps en souffrance. L’ostéopathie, en relançant les flux, soutient la fonction première de la vie : transformer l’énergie reçue en chaleur, c’est-à-dire vivre.

De la physique au mental : la loi d’équivalence

La thermodynamique ne s’applique pas qu’au corps physique. Le mental, lui aussi, est une structure dissipative. Il s’organise, évolue, passe par des seuils critiques. Un refus mental, une saturation émotionnelle, un burn-out : autant de signes que le flux énergétique ne circule plus librement.

La loi d’équivalence formulée dans la formation OTC précise que tout blocage physique a son équivalent mental, et inversement. Travailler avec cette double lecture, c’est élargir l’approche ostéopathique à la réalité vivante dans toute sa complexité.

Une ostéopathie en phase avec l’évolution du vivant

L’ostéopathie trouve ainsi dans l’entropie un modèle cohérent et fécond pour penser ses fondements et son action. Elle ne se réduit pas à une mécanique tissulaire, mais s’inscrit dans un projet plus vaste : accompagner le vivant dans son mouvement, soutenir sa capacité à s’organiser, à transformer, à évoluer.

Il ne s’agit pas de restaurer un équilibre, mais de relancer une dynamique. L’ostéopathe, par la mise en mouvement, libère la seule voie possible, celle de l’évolution.

Penser la vie à travers l’entropie, c’est adopter une lecture rigoureuse, transdisciplinaire et évolutive du vivant. C’est aussi inscrire notre pratique ostéopathique dans une vision plus large, ancrée dans les lois physiques de l’univers. La mission de l’ostéopathe devient alors claire : libérer le mouvement pour permettre au vivant de continuer à produire de la chaleur, c’est-à-dire à vivre.

Bruno Mitaine, ostéopathe D.O